Il n’y a peut-être pas de tapis rouge, de robes de gala ou de paparazzis aux aguets pour photographier les stars à leur arrivée devant l’église Saint-Jean Bosco. Il règne néanmoins une atmosphère festive à Magog le 9 avril 1954 alors que Crawley Films présente en première au grand public, notamment aux ouvriers de la Dominion Textile (DT) et à leur famille, le documentaire « Le coton fabriqué au Canada ».
Tourné en totalité dans les usines locales, ce film d’une durée de 22 minutes décrit les étapes nécessaires à la transformation d’un ballot de coton en un produit fini, prêt à la consommation. Grâce à la présence d’une filature et d’une imprimerie, ce processus peut être mené à terme entièrement à Magog, ce qui explique le choix de cette ville pour le tournage.
« Le coton fabriqué au Canada » permet d’apprécier les méthodes de travail et les technologies en vogue à l’époque, ce qui en fait un document historique fascinant, à la lumière de l’évolution que connaîtra l’industrie textile dans la deuxième moitié du siècle. Pour les Magogois, il comporte également une dimension humaine. Filmé à un moment où la DT donne de l’ouvrage à plus de 2000 personnes, ce documentaire met en effet « en vedette » une vingtaine d’employés réguliers dont nous apercevons brièvement les visages et les silhouettes pendant qu’ils vaquent à leur occupation.
On peut s’imaginer les personnes rassemblées dans la salle paroissiale Saint-Jean Bosco pour les trois représentations – 19, 20 et 21 heures – , s’esclaffant à la vue de leurs compagnes et compagnons de travail, « étoiles filantes » d’un soir immortalisées sur la pellicule. Rires qui ont un écho jusque sur la rue des Pins puisque la version anglaise fait aussi l’objet de deux représentations, le même soir, dans la salle de l’église anglicane St. Luke’s.
Pas de quoi cependant inquiéter Jerry Lewis ou le duo Abbott et Costello, car ce film n’a évidemment pas pour but de divertir. Inquiète du ralentissement observé dans le textile depuis quelques années, la DT souhaite plutôt sa diffusion dans tout le pays afin de « revamper » l’image de cette industrie et donner à nos compatriotes un aperçu de son dynamisme et de son poids économique. Bref, que les Canadiens réalisent que, face à la concurrence étrangère envahissante, il se fait chez nous des produits textiles de qualité procurant de l’emploi à une main-d’œuvre abondante. Un message qui, par ricochet, s’adresse aussi aux gouvernements dont la politique douanière aura un impact déterminant sur l’avenir de l’industrie.
De toute évidence, cet objectif ne sera pas atteint. « Le coton fabriqué au Canada » n’en reste pas moins un document intriguant, même touchant, considérant le rôle que le textile a joué dans notre histoire. Il se termine d’ailleurs sur un plan aérien filmé, le seul que nous connaissons de cette période. Bien que tourné dans l’obscurité, celui-ci nous permet d’apprécier la place centrale occupée par les usines dans le Magog des années 1950. Un Magog urbain, aux contours encore étroits, mais dont le visage connaîtra bientôt de profonds changements.
Serge Gaudreau