Les siècles se suivent et ne se ressemblent pas ! Après un début d’été particulièrement sec et un mois de septembre où il tombe moins d’un pouce de pluie, les Estriens commencent à tourner les yeux vers le ciel à l’automne 1903. Un peu par conviction religieuse. Beaucoup par inquiétude.
Selon des témoins du temps, jamais le lac Memphrémagog n’a été aussi bas. Faut-il parler d’un niveau inférieur de deux pieds ou de deux mètres à la moyenne saisonnière ? D’un observateur à l’autre, les estimations varient. Seul constat qui fait l’unanimité : il faut de la pluie, et vite.
Éprouvés par des récoltes décevantes, les cultivateurs voient avec impuissance le sol s’assécher, des sources fiables se tarir. Et ils se demandent où ils devront bientôt aller pour faire boire leurs bêtes.
L’industrie n’est pas en reste. Dominion Cotton Mills, qui emploie 1 000 des 4 000 Magogois, a un besoin vital du courant de la rivière Magog pour alimenter ses usines. À cause de cette pénurie, qui se prolonge en octobre et novembre, les interruptions se multiplient et on envisage même d’arrêter les activités de la filature. Un coup que l’économie locale aurait du mal à encaisser.
Début octobre, on profite du bas niveau de la rivière pour déblayer la voie au barrage des bûches et des pierres qui en obstruent l’accès. Les dynamiteurs ne lésinent pas sur la poudre : certains débris atterrissent même sur la rue Principale. Ce qui fait bien du bruit, mais n’arrange pas tout. Pour éviter l’exil de sa main-d’œuvre, D.C. Mills adopte en novembre une formule de temps partagé.
Sherbrooke n’a pas ce luxe. Paralysées par l’inertie de la rivière Magog, des usines comme la Paton et la Lomas doivent fermer leurs portes. L’éclairage de leurs rues réduit au maximum, les Sherbrookois broient du noir.
De ce sentiment d’urgence naît un projet. Mandaté par les élus, un ingénieur étudie la possibilité de réaménager la décharge du lac, à Magog, de façon à ce qu’en baissant le niveau du Memphrémagog d’un pied, on redonne à la rivière sa vivacité. L’idée est prise au sérieux. Mais à 3 500 $, on juge l’affaire trop risquée.
Mère nature restant hésitante, c’est finalement l’acquisition d’équipement plus performant –dynamos, machines à vapeur- qui permet de dénouer l’impasse à court terme. Ce n’est toutefois que partie remise. Cinq ans plus tard, à l’automne 1908, Magog vivra une autre sécheresse. Cette fois, la crise amènera les élus à se pencher sur des solutions plus durables.
Serge Gaudreau