Oubliez les marmottes ou la fonte des neiges. En 1960, c’est le règlement de la grève à la Dominion Textile, le 15 février, qui annonce aux Magogois la fin officielle de l’hiver. Un printemps hâtif ? Peut-être. Mais quel hiver ce fut ! Depuis que les 2 000 employés de la filature et de l’imprimerie ont entrepris leur arrêt de travail, le 27 septembre 1959, plus de cinq mois et demi se sont écoulés.
Unique par sa longueur, cette épreuve de force se distingue également par la stratégie de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) qui décide de laisser le travail continuer dans les autres usines de DT et de faire porter le fardeau du conflit sur les épaules des Magogois. Puisque l’on entrevoit une entente rapide, l’effort ne devrait pasêtre trop pénible. Malheureusement, le conflit perdure.
La CTCC déploie une importante logistique. Des comités–patrouilles, nourriture, pancartes, etc.- sont formés et des cabanes de piquetage érigées, fermant l’accès aux usines. De plus, 25 000$ sont acheminés à Magog sur une base hebdomadaire, ce qui permet aux grévistes de toucher environ 10$ par semaine, plus 1$ par enfant à charge. Ils restent néanmoins bien à court des 45$ qu’ils touchent en moyenne à la DT.
Et cinq mois, c’est une éternité. Privés de 2 000 chèques de paye, les 225 établissements commerciaux de la ville sont aux abois. L’endettement devient la norme, poussant les marchands à demander au gouvernement provincial d’intervenir afin de précipiter un règlement.
Malgré cela, la communauté reste sensible à la situation des grévistes. Le curé de Sainte-Marguerite, Origène Vel, leur accorde son soutien. La maire, Maurice Théroux, refuse de laisser la police provinciale venir à Magog. Et, le 19 décembre, les commerçants organisent une magnifique parade du père Noël à l’intention de plus de 2 000 enfants touchés par le conflit. Des cadeaux d’une valeur de 6 000$ sont distribués, dont une quantité innombrable de poupées ou de bâtons de hockey.
Sur son passage, le père Noël omet de descendre dans les cheminées de la DT. Il faut attendre le 15 février avant que la médiation du ministre du Travail Antonio Barrette, devenu entre-temps premier ministre du Québec, ne permette la conclusion d’une entente. À peine plus généreuse pour les Magogois que pour les autres ouvriers de la DT qui n’ont pas fait la grève, elle en laisse plusieurs sur leur appétit. Mais règle générale, le soulagement règne. L’interminable hiver est enfin chose du passé.
Serge Gaudreau