À cette période de l’année, les autorités responsables de la santé publique incitent certains groupes de citoyens à se faire vacciner contre l’influenza. Cette année plus que jamais, avec le spectre d’une épidémie possible de grippe aviaire, le souvenir de la célèbre, mais meurtrière, « grippe espagnole » nous revient. Cette pandémie a sévi à l’échelle mondiale en 1918-1919, vers la toute fin de la Première Guerre mondiale et a fait entre 20 et 40 millions de morts à travers le monde, soit plus que la guerre elle-même. D’après les historiens, c’est à tort qu’on l’a appelée grippe espagnole, car elle n’a pas débuté en Espagne. Il semble que les premiers cas sont survenus d’abord en Chine (à Canton), puis en France et en Allemagne, mais l’Espagne, durement éprouvée, serait le premier pays à l’avoir déclaré publiquement.
Le fléau est entré au Canada en juin 1918, vraisemblablement par bateaux transportant des soldats revenant du front. Il a progressé lentement jusqu’à son arrivée dans les Cantons-de-l’Est, à Victoriaville, le 15 septembre, date officielle du début de l’épidémie au Québec. Le 25 septembre, plus de 400 Sherbrookois sont atteints et le 28, elle sévit à la grandeur du pays.
Quoique relativement épargnée, Magog n’y échappe pas. Parmi leurs recommandations, les autorités gouvernementales demandent que l’on évite les foules, les rassemblements et manifestations publiques et que l’on ferme les bars, théâtres, salons de quilles, écoles, etc. On recommande aussi de fermer les églises. Les temples protestants ferment dès le 5 octobre, mais l’Église catholique hésite à exempter ses fidèles de leurs devoirs religieux. Mgr H.O. Chalifoux, évêque auxiliaire du diocèse de Sherbrooke, accepte finalement, mais seulement pour le dimanche 13 octobre. Le même jour, le Magogois John O. Donigan, inscrit ce qui suit dans la bible familiale : «Today, for the first time in our recollection, we have had no mass at the church. This is on account of an epidemic of Spanish Grippe which is world-wide just now and many deaths are reported from all parts ». Le Bureau central d’hygiène ordonne aux autorités religieuses de fermer les églises. Elles n’ouvriront que le 10 novembre, la veille de l’armistice qui marque la fin du conflit. S’agit-il d’une simple coïncidence?
À Magog, où la population n’est que de quelque 5 000 habitants, il n’y a que quatre médecins : les docteurs G.A. Bowen, E.-C. Cabana, I.A. Guertin et John West. Les seules pharmacies sont la pharmacie Béique (le Dr Béique est décédé) et celle du docteur West (pharmacie Rexall). Pharmaciens et médecins, à court de moyens pour combattre efficacement la maladie, sont débordés et les heures de travail sont longues. Le 3 octobre, le docteur Cabana présente au conseil de ville un projet d’avis à afficher, indiquant les moyens à prendre pour éviter la maladie; il n’y a pas d’hôpital à Magog et la majorité des malades sont gardés chez eux. Les maisons qui abritent des personnes atteintes sont « placardées », indiquant qu’on ne doit pas y entrer. Les Hospitalières de La Crèche, avec l’autorisation du curé Brassard, transforment les classes et la salle de récréation en « hôpital » pour y recevoir les plus atteints.
La Crèche (photographe inconnu, fonds Studio RC, coll. SHM)
Le mois d’octobre s’avère de loin le plus meurtrier. Plusieurs familles perdent 2 ou 3 membres que l’on doit enterrer rapidement, sans même passer par l’église, pour éviter la contagion. Les statistiques publiées plus tard par le Conseil supérieur de l’hygiène indiqueront qu’en octobre seulement, on a enregistré à Magog 45 décès et à Sherbrooke plus de 250. Au total, dans les Cantons-de-l’Est il y en a eu 2 146!
En novembre, l’épidémie perd de l’ampleur et les mesures prises par les autorités municipales et les médecins semblent donner de bons résultats. Les écoles, les églises et autres lieux publics peuvent rouvrir leurs portes. Il y aura bien dans la région d’autres cas de grippe avec décès, mais l’épidémie est à toutes fins pratiques terminée et la vie reprend progressivement son cours normal à Magog comme ailleurs.
Devant l’imminence d’une épidémie de grippe aviaire, il ne faut cependant pas paniquer. D’abord, nous ne sommes pas en état de guerre. De plus, l’hygiène et les conditions de vie ont bien évolué depuis 1918: il y a moins de pauvreté et de promiscuité, l’alimentation et la santé de la population se sont considérablement améliorées. La cause de cette maladie est maintenant connue et les moyens de la prévenir et de la traiter sont nombreux. Les autorités responsables de la santé à travers le monde sont en état d’alerte, ce qui n’était pas le cas il y a 90 ans. Pour le moment, il nous suffit d’appliquer les mesures élémentaires d’une saine hygiène.
Maurice Langlois