Le parcours unique de John Peters nous ramène à une époque, pas si lointaine, où il arrivait fréquemment qu’un travailleur finisse sa carrière dans la même usine où il l’a commencée. Incroyable mais vrai, lorsque Peters annonce sa retraite, en octobre 1953, il met un terme à un parcours de plus de 63 ans au service de la Dominion Textile et de ses prédécesseurs, ainsi que de l’Industrial Specialty (que les Magogois appelaient familièrement la bobbin shop).
Lié étroitement aux usines de textile, le destin de John Peters l’est aussi à celui de notre ville. Né à Waterloo le 6 février 1874, ce fils de conducteur de train serait arrivé à Magog en 1877, à l’occasion du premier voyage que le Waterloo & Magog effectue ici. Engagé à la Magog Textile & Print Co. en 1888, année de la fondation de la municipalité de ville de Magog, il n’est d’abord qu’un employé supplémentaire pour la saison estivale. Puis, en 1890, il devient garçon de bureau.
C’est le début de l’ascension de John Peters au sein de la Dominion Cotton Mills (1890), puis de la Dominion Textile (DT) qui prend les rênes de la filature et de l’imprimerie en 1905. Promu au poste d’assistant surintendant de l’imprimerie en 1913, il devient gérant d’affaires pour la compagnie en 1917.
L’année 1918 marque une nouvelle étape dans la carrière de Peters. La DT se porte alors acquéreur d’un bâtiment à vocation industrielle érigé par la ville, mais qui est resté inutilisé. Situé dans la partie ouest de la ville, à proximité de la route 1, l’Industrial Specialty fabriquera des pièces de bois de toutes sortes (navettes, bobines, fuseaux) pour alimenter les voraces usines de textiles. En plus d’être privée de la production britannique, tournée vers la demande de guerre, la filature de la DT est en ce moment en pleine croissance, conséquence d’une production accentuée par le conflit en Europe. Pendant les 34 prochaines années, John Peters est à la barre de cette usine qui, selon les périodes, emploiera entre 150 et 250 Magogois.
John Peters à son bureau de la Domion Textile, vers 1918 (Photographe inconnu, fonds Bibliothèque Memphrémagog, coll. SHM)
Outre le textile, Peters a bien de quoi s’occuper. Avec son épouse, l’Américaine d’origine Lucy May Lockwood, il élève dans sa maison de la rue des Pins deux garçons prénommés James et John. Ce dernier, que tous appellent Jack, suivra les traces du paternel et oeuvrera lui aussi au sein de l’Industrial Specialty.
John Peters est également impliqué sur le plan social. Cet ancien président de l’Association conservatrice des Cantons-de-l’Est est actif dans une foule d’associations. Il participe notamment au comité pour les fonds de construction du futur Princess Elizabeth High School, construit à l’angle des rues Bellevue et Bullard au cours des années 1950. Son intérêt marqué pour l’agriculture et l’élevage l’amène aussi à agir comme directeur exécutif de la Société agricole du comté de Stanstead et de l’Association agricole des Cantons-de-l’Est. Sa passion pour les chevaux est particulièrement bien connue. Peters aime bien voir ses bêtes participer à des compétitions où elles se distinguent à plusieurs occasions. Lorsqu’il annonce sa retraite, en 1953, ses amis lui font d’ailleurs cadeau d’une toile le représentant aux côtés de My King of All, monture victorieuse lors de concours hippiques.
Témoin privilégié d’une tranche importante de l’histoire locale, John Peters est un des rares Magogois de sa génération à prendre la plume pour partager ses expériences. Il raconte entre autres les circonstances qui ont entouré l’implantation de l’industrie textile dans notre ville. Ses observations inspirent d’ailleurs largement le contenu de l’Histoire commerciale et industrielle de Magog d’Alexandre Paradis, une brochure publiée au cours des années 1950 que plusieurs Magogois ont conservée.
Lorsque ce vétéran de la DT tire finalement sa révérence du textile, à l’automne 1953, tout le gratin local se déplace pour lui rendre hommage. Le président de DT, Blair Gordon, assiste à la soirée, de même que le maire de la ville, Ovila Bergeron. Brillent également par leur présence les trois curés de Magog (Léon Bouhier, Origène Vel, Roch Poitras), ainsi qu’une foule d’autres personnalités connues. John Peters décédera en 1961.
Serge Gaudreau