Serge Gaudreau

Fin d’une époque sur la rue Dollard

Lorsque la Deuxième Guerre mondiale se termine, en 1945, les modèles d’entrepreneurs canadiens-français sont encore rares à Magog où la Dominion Textile domine la structure industrielle de la tête et des épaules. Cela n’empêche pas le jeune René Patenaude, la vingtaine à peine entamée, de se lancer en 1948 dans l’aventure de la Magog Packing. L’expérience acquise à bosser au Marché DeLuxe et au Marché Lorenzo Hamel sert à merveille Patenaude dont la compagnie, devenue la Federal Packing en 1953, emploie 70 personnes au milieu des années 50.

L’intention ici n’est pas de retourner le fer dans la plaie des amateurs de hockey, privés de leur sport préféré par un interminable conflit de travail. Mais le début du mois de mai nous apparaît tout indiqué pour rappeler à nos lecteurs les grandes lignes de la carrière d’Albert Langlois jr, celui qui demeure à ce jour le seul Magogois dont le nom soit gravé sur la coupe Stanley, et ce à trois reprises.

Albert Langlois Jr a joué au sein des Rangers de New-York. Source: Wikimedia Commons
Albert Langlois Jr a joué au sein des Rangers de New-York. Source: Wikimedia Commons

Unique garçon d’une famille qui compte quatre enfants, Albert Langlois jr voit le jour le 6 novembre 1934. Ses parents habitent sur la rue Saint-Jacques, dans la paroisse Sainte-Marguerite. C’est là où, dès l’enfance, il s’initie au patinage qu’il pratique dans l’entrée de cour du voisin d’en face, Monsieur Milette, qui remise sa voiture pendant les mois d’hiver.

 

La famille Langlois habite à Magog quelques années avant de s’établir à Sherbrooke où Junior se découvre une passion pour le hockey. Après un apprentissage chez les juniors et les seniors à Québec, puis deux saisons à Rochester, dans la Ligue américaine, il gradue avec le Canadien de Montréal en 1957-58. Dans une Ligue nationale qui ne compte que six équipes, l’exploit n’est pas banal.

D’autant plus que le Canadien, vainqueur de la coupe Stanley en 1956 et 1957, est la référence du hockey professionnel. En route vers une séquence record de cinq coupes consécutives, les trois dernières (1958, 1959, 1960) avec Langlois, les Flying Frenchmen déploient une offensive d’anthologie avec les Richard, Béliveau, Geoffrion, Moore et compagnie. Mais la brigade défensive, qui remporte cinq fois le trophée Vézina entre 1956 et 1960, n’est pas piquée des vers non plus.

C’est au sein de cette unité, aux côtés des Doug Harvey, Tom Johnson, Jean-Guy Talbot et Bob Turner, et devant Jacques Plante, qu’évolue Langlois, un patineur de 6 pieds qui fait environ 200 livres. Le timing sert à merveille le Magogois d’origine qui gagne la coupe Stanley à ses trois premières saisons, la dernière il y a 45 ans, le 14 avril 1960. Ses ex-concitoyens ont d’ailleurs la chance de le voir à l’œuvre puisque plusieurs parties sont présentées à la télévision de Radio-Canada. Échangé aux Rangers de New York en juin 1961, Junior Langlois quittera le hockey en 1967 après de courts séjours à Détroit et Boston.

Même s’il a quitté Magog depuis belle lurette, l’ancien numéro 19 du Tricolore, qui vit en Californie avec son épouse Sharon, garde néanmoins un très bon souvenir de sa région natale où il a toujours des amis et où il revient encore à l’occasion.

Serge Gaudreau

L'épopée de Lorenzo Lamontagne fait la première page du journal le Progrès de Magog le 13 juillet 1955
L’épopée de Lorenzo Lamontagne fait la première page du journal le Progrès de Magog le 13 juillet 1955

Rendue célèbre par ses traversées du lac Ontario et de la Manche, la nageuse Marilyn Bell est en 1955 l’inspiration de milliers d’athlètes canadiens. Un d’entre eux, le Sherbrookois Lorenzo Lamontagne, tente le 9 juillet 1955 de devenir le premier homme à franchir le lac Memphrémagog à la nage.

Lamontagne, un athlète de 24 ans, se prépare avec diligence. Lorsqu’il se jette à l’eau le 9 juillet à 16 heures, il a derrière lui de nombreuses heures d’entraînement, dont quelques séances éreintantes de plus d’une quinzaine de milles.

Dans son aventure, il est assisté de quelques accompagnateurs, dont le jeune Jean Besré, qui l’escortent en bateau. Lors de son départ à Newport, il est également entouré du nageur émérite Adrien Pelchat et d’une jeune athlète de 14 ans, Line Gaudreau. Le Memphrémagog n’a qu’à bien se tenir.

Après un début de parcours encourageant, Lorenzo Lamontagne rencontre son premier obstacle au huitième kilomètre alors qu’un courant froid le force à ralentir. Son endurance lui permet de tenir le coup, mais la partie reste difficile. Même si ses accompagnateurs ont tenté d’évaluer le tracé le plus court possible, l’embarcation qui guide le Sherbrookois s’égare à quelques reprises. Au lieu de suivre la voie la plus directe, ce dernier fait donc des détours malencontreux qui sapent son énergie et hypothèquent ses chances de réussite.

Petit à petit, les vagues et la fatigue éprouvent la résistance du nageur qui puise dans ses dernières ressources pour résister à l’abandon. Le jeune homme livre une lutte épique au Memphrémagog, mais sur les recommandations de ses amis qui le voient complètement épuisé, il doit se résigner. Après 21 heures et 30 minutes de nage, Lamontagne est finalement retiré de l’eau, à environ deux milles de son objectif.

Le dénouement de la course n’affecte pas l’estime que lui porte le public. Environ 1 500 personnes s’entassent le long de la plage du motel Cabana pour l’acclamer et ses concitoyens sherbrookois lui rendent hommage en lui remettant des cadeaux de toutes sortes. Fort de cette expérience, Lamontagne projette de s’attaquer à la Manche.

Le Memphrémagog conserve donc son mythe d’invincibilité. Mais les temps changent. Le 7 juillet, Bert Thomas est le premier homme à franchir le détroit Juan de Fuca. Le 23 juillet, Jacques Amyot vient à bout du lac Saint-Jean. La table est mise. Un jeune Magogois de 19 ans sent que le moment est venu de faire tomber un autre mythe. Son nom : William Francis « Billy » Connor.

Serge Gaudreau

Le maire de Magog à lépoque, Maurice Theroux, lors duune visite à la Dominion Textile. Fonds Joseph Ouellette. La Société dhistoire de Magog
Le maire de Magog à l’époque, Maurice Théroux, lors d’une visite à la Dominion Textile – Fonds Joseph Ouellette. La Société d’histoire de Magog

Oubliez les marmottes ou la fonte des neiges. En 1960, c’est le règlement de la grève à la Dominion Textile, le 15 février, qui annonce aux Magogois la fin officielle de l’hiver. Un printemps hâtif ? Peut-être. Mais quel hiver ce fut ! Depuis que les 2 000 employés de la filature et de l’imprimerie ont entrepris leur arrêt de travail, le 27 septembre 1959, plus de cinq mois et demi se sont écoulés.

Unique par sa longueur, cette épreuve de force se distingue également par la stratégie de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) qui décide de laisser le travail continuer dans les autres usines de DT et de faire porter le fardeau du conflit sur les épaules des Magogois. Puisque l’on entrevoit une entente rapide, l’effort ne devrait pasêtre trop pénible. Malheureusement, le conflit perdure.

La CTCC déploie une importante logistique. Des comités–patrouilles, nourriture, pancartes, etc.- sont formés et des cabanes de piquetage érigées, fermant l’accès aux usines. De plus, 25 000$ sont acheminés à Magog sur une base hebdomadaire, ce qui permet aux grévistes de toucher environ 10$ par semaine, plus 1$ par enfant à charge. Ils restent néanmoins bien à court des 45$ qu’ils touchent en moyenne à la DT.

Et cinq mois, c’est une éternité. Privés de 2 000 chèques de paye, les 225 établissements commerciaux de la ville sont aux abois. L’endettement devient la norme, poussant les marchands à demander au gouvernement provincial d’intervenir afin de précipiter un règlement.

On voit ici des piqueteurs qui prennent une pause le temps d'une partie de carte durant une grève à la Dominion Textile - Fonds Jacques Boisvert. La Société d'histoire de Magog
Des piqueteurs prennent une pause le temps d’une partie de carte durant une grève à la Dominion Textile – Fonds Jacques Boisvert. La Société d’histoire de Magog

Malgré cela, la communauté reste sensible à la situation des grévistes. Le curé de Sainte-Marguerite, Origène Vel, leur accorde son soutien. La maire, Maurice Théroux, refuse de laisser la police provinciale venir à Magog. Et, le 19 décembre, les commerçants organisent une magnifique parade du père Noël à l’intention de plus de 2 000 enfants touchés par le conflit. Des cadeaux d’une valeur de 6 000$ sont distribués, dont une quantité innombrable de poupées ou de bâtons de hockey.

Sur son passage, le père Noël omet de descendre dans les cheminées de la DT. Il faut attendre le 15 février avant que la médiation du ministre du Travail Antonio Barrette, devenu entre-temps premier ministre du Québec, ne permette la conclusion d’une entente. À peine plus généreuse pour les Magogois que pour les autres ouvriers de la DT qui n’ont pas fait la grève, elle en laisse plusieurs sur leur appétit. Mais règle générale, le soulagement règne. L’interminable hiver est enfin chose du passé.

Serge Gaudreau

1930
Rues Principale et Merry durant les années 1930 – Fonds studio RC. La Société d’histoire de Magog

En 1929, les marchés boursiers ne sont pas à la portée des ouvriers du textile ou des commis de magasins qui font 9 $ par semaine. Aussi, on peut supposer que peu de Magogois sont affectés par la panique boursière du mois d’octobre.

Mais lorsque le ralentissement de l’économie atteint le secteur industriel, personne n’est épargné. Les premiers signes du marasme se manifestent au début de 1930. En mai, le pharmacien Rodolphe Éthier reconnaît que « les choses sont très tranquilles depuis quelques mois ». Dans les semaines qui suivent, le maire Colin MacPherson écrit au ministre des Travaux publics pour lui faire part de ses inquiétudes. Compter 300 chômeurs de plus qu’à l’habitude dans une ville de 6 000 habitants, c’est assez pour crier au loup.

Avec un budget d’environ 140 000 $, l’administration municipale se retrouve vite à court de ressources. Pour aider les sans-emplois, les gouvernements instaurent les Secours directs et financent des programmes de travaux publics. Pour 1 $ par jour, parfois moins, les chômeurs réparent des routes comme la 1, entre Magog et Granby, installent des égouts, érigent des murs de soutènement à la pointe Merry ou défrichent des terrains au parc du Mont-Orford, fondé en 1938.

Y a-t-il assez d’ouvrage pour tous ? Bien sûr que non. Mais grâce à un relèvement des tarifs douaniers sur le textile, la Dominion Textile évite le pire. Après une période pendant laquelle elles n’offrent que 3 ou 4 jours de travail par semaine, la filature et l’imprimerie retrouvent leur élan et prennent même de l’expansion. En 1935, plus de 1 500 personnes y gagnent leur vie. Le mot se répand. Enviable par rapport à celle d’autres villes du Québec, la situation magogoise attire les chômeurs de l’extérieur. Ce qui ne plaît pas toujours aux locaux qui voudraient qu’on pense d’abord à eux.

Magog n’a pas été épargnée par la crise. Mais à l’exception de quelques ralentissements (1930-1933, 1938-1939), le bilan de la décennie reste étonnamment positif. La population passe de 6 302 à 9 034 habitants et la situation financière de la Ville se bonifie, avec une dette et un taux de taxation à la baisse par rapport à 1929. Pas si mal pour une crise ! D’autant plus que les rues et le système d’égouts sont améliorés au cours de cette période qui laissera également en héritage aux Magogois des bâtisses comme l’aréna de la rue Sherbrooke, le collège Sainte-Marguerite et l’hôpital La Providence.

Serge Gaudreau

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Le Canada a les yeux rivés sur le comté de Stanstead le 9 août 1943. Lors d’une élection partielle, cette circonscription exprime haut et fort l’opposition du Québec à la conscription en accordant une forte majorité au candidat du Bloc populaire, Joseph-Armand Choquette. Ce cultivateur de Sainte-Catherine reçoit à nouveau l’appui des Magogois en 1945, mais pas celui du comté qui lui préfère le conservateur John Hackett.

Le 17 septembre 1947, le gouverneur général du Canada, Alexandre de Tunis est de passage à Magog. Il rencontre la population au parc des Braves. Photo de Marston E. Adams - Fonds Famille Merry. La Société d'histoire de Magog
Le 17 septembre 1947, le gouverneur général du Canada, Alexandre de Tunis est de passage à Magog. Il rencontre la population au parc des Braves. Photo de Marston E. Adams – Fonds Famille Merry. La Société d’histoire de Magog

C’est une des rares fois où Magog ne suit pas la tendance nationale. De 1949 à 1972, notre ville joue en effet le rôle de baromètre. Au libéral Louis-Édouard Roberge (1949-1958), succèdent le conservateur René Létourneau (1958-1963) et le libéral Yves Forest (1963-1972), des choix qui reflètent à peu près exactement l’humeur du pays. Cette alternance camoufle une exception : la majorité de plus de 600 voix que les Magogois accordent en 1962 au créditiste Roméo Custeau. Ce vote s’inscrit néanmoins dans une certaine mouvance, le Crédit social ayant fait élire 26 candidats au Québec lors de cette élection.

Entre 1972 et 2004, le Parti libéral règne pendant 24 ans à Ottawa. Mais dans Brome-Missisquoi, nom que porte le comté depuis 1968, les Rouges n’ont pas la partie facile. Les victoires du progressiste-conservateur Heward Grafftey (1972, 1974, 1979) s’inscrivent à contre-courant de la tendance provinciale. Pendant cette période, ce tenace avocat est un des rares torys à représenter un comté du Québec à la Chambre des communes.

Ce dérèglement passager du baromètre prend fin avec l’élection du libéral André Bachand, en 1980, et celles de Gabrielle Bertrand qui brigue les suffrages sous la bannière conservatrice, en 1984 et 1988.

Lorsque les Bleus fléchissent, en 1993, une nouvelle formation, le Bloc québécois, apparaît dans le décor. Surfant sur la vague nationaliste qui déferle sur le Québec, Gaston Péloquin obtient une majorité à Magog et dans Brome-Missisquoi. L’élection partielle qui fait suite à son décès, en 1995, confirme la naissance d’une chaude rivalité politique : malgré sa majorité dans Magog, le Canton de Magog et Omerville, le bloquiste Jean-François Bertrand est défait par le libéral Denis Paradis qui enlève le comté par près de 3 000 votes. Après deux victoires assez faciles en 1997 et 2000, ce dernier est un des seuls libéraux de la région à résister à la poussée bloquiste de 2004. Un siècle après les luttes corsées entre libéraux et conservateurs, c’est encore sur fond de rouge et de bleu que se colore le débat politique à Magog.

Serge Gaudreau

Difficile à croire aujourd’hui mais, au moment où Magog devient une ville, en 1888, c’est le Parti conservateur qui domine la scène politique canadienne. Vainqueur de six élections consécutives, dont deux par acclamation, Charles C. Colby est alors le seul député à avoir représenté le comté de Stanstead à la Chambre des communes depuis la Confédération.

À cette époque, les Magogois sont eux aussi rangés derrière le parti de John A. MacDonald. Enfin, ceux de qui on sollicite l’opinion. Malgré les réformes de 1875, la plupart des citoyens sont en effet évincés du processus électoral. En oubliant les femmes, les moins de 21 ans –ils constituent 55% de la population !- et ceux dont les biens ou les revenus ne s’élèvent pas au-delà d’un seuil fixé par la loi, on estime que 1 personne sur 5 est autorisée à voter. Lors de l’élection fédérale de 1891, par exemple, seulement 229 des 2 100 Magogois se prévalent de ce droit.

Les Bleus ont des racines profondes à Magog. Leur politique protectionniste, à l’origine de la venue du textile, a stimulé la croissance de la ville. De plus, une personnalité locale, l’homme d’affaires Alvin H. Moore, est candidat à trois reprises entre 1896 et 1908. Appuyé dans son château fort, l’ex-maire de Magog l’est toutefois beaucoup moins dans le reste du comté. Conséquence : il ne remplira qu’un seul mandat à Ottawa, entre 1896 et 1900.

Du bleu au rouge
Les Conservateurs restent majoritaires à Magog jusqu’en 1908. L’élan nationaliste du début du siècle et la popularité du premier ministre Wilfrid Laurier, particulièrement auprès des francophones qui constituent 70 % de la population magogoise, font par la suite pencher la balance du côté des Libéraux. Ce vent robuste gagne encore en vélocité en 1917 alors que Laurier s’oppose à la conscription, mesure qui n’a pas la faveur des Canadiens français.

Entre 1908 et 1940, Magog n’en a que pour les Rouges dont elle supporte les candidats à neuf reprises. En 1930, le mécontentement suscité par la crise économique pousse Stanstead et le pays dans les bras des Conservateurs. Fidèles à leur tradition libérale, les Magogois refusent d’emboîter le pas. Il ne s’agit d’ailleurs que d’un flirt. Dès 1935, le comté renoue son histoire d’amour avec le parti de William L. Mackenzie King. Il faudra attendre la guerre, et l’avènement du Bloc populaire, avant de voir cette union compromise à nouveau. Après le bleu et le rouge, la palette électorale du comté va prendre de nouvelles couleurs.

Serge Gaudreau

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Avant de côtoyer le gratin cannois ou hollywoodien, le cinéaste Denys Arcand a fait ses classes au sein de l’Office nationale du film. En septembre 1968, alors qu’il est encore dans la vingtaine, il entreprend le tournage de «On est au coton». Ce documentaire en noir et blanc de plus de 2 heures 40 fait de la fermeture de l’usine Penman’s de Coaticook la toile de fond d’un large panorama de l’industrie textile, un secteur menacé dans lequel œuvrent plusieurs milliers de Québécois.

Du nombre, on compte près de 2 000 Magogois qui sont à l’emploi de la Dominion Textile. Vieilles de près d’un siècle, la filature et l’imprimerie de la rue Principale constituent alors des incontournables pour l’équipe de production qui filme à l’usine Esmond de Granby et à la Celanese de Drummondville.

Malheureusement, se souvient Arcand, la direction montréalaise de la Dominion Textile lui refuse l’accès à ses installations magogoises, prétextant que leur âge avancé «ne donnerait pas une image assez dynamique de la compagnie». Sans cette autorisation, il se rabat sur quelques plans très courts de Magog. Un, pris du côté sud de la rivière, montre l’arrière de la manufacture. Un autre, s’attarde brièvement sur un groupe de travailleurs déambulant devant Chez Eddy, près de la barrière principale.

La dimension locale du documentaire se résumerait à ces scènes si ce n’était du témoignage que livre un ex-employé de la filature, Lucien Gervais. Interviewé dans son domicile de la rue Principale, celui-ci parle de son expérience dans le textile et des problèmes de santé qui l’ont forcé à prendre une retraite prématurée quelques années auparavant. Un moment intense, mais furtif, qui fait regretter ce qui aurait pu constituer un document unique, historique, sur la vie des ouvriers magogois.

Des travailleuses s'affaire au découpage et à l'emballage des tissus à la Dominion Textile - Fonds George A. W. Abbott. La Société d'histoire de Magog
Des travailleuses s’affaire au découpage et à l’emballage des tissus à la Dominion Textile – Fonds George A. W. Abbott. La Société d’histoire de Magog

Conditions difficiles, concurrence étrangère, perspectives d’avenir inquiétantes : le film de Denys Arcand trace d’ailleurs un portrait morose du textile. Il déplaît à ce point au président de la Dominion Textile, Edward F. King, qu’il demande qu’on en retire l’entrevue qu’il a accordée et qui devait y figurer. Sensibles au problème d’image que connaît leur industrie, les dirigeants du Canadian Textile Institute pressent même le gouvernement fédéral d’interdire le film. Ironiquement, cette censure contribuera à sa notoriété avant qu’il ne soit finalement rendu public, en 1976.

À l’aube d’une phase de modernisation importante, le textile a bien changé depuis. Ce qui n’enlève rien à l’intérêt de «On est au coton» dont les images nous retrempent dans ce à quoi ressemblait, à la fin des années 60, le quotidien de milliers de nos concitoyens.

Serge Gaudreau

Les siècles se suivent et ne se ressemblent pas ! Après un début d’été particulièrement sec et un mois de septembre où il tombe moins d’un pouce de pluie, les Estriens commencent à tourner les yeux vers le ciel à l’automne 1903. Un peu par conviction religieuse. Beaucoup par inquiétude.

Selon des témoins du temps, jamais le lac Memphrémagog n’a été aussi bas. Faut-il parler d’un niveau inférieur de deux pieds ou de deux mètres à la moyenne saisonnière ? D’un observateur à l’autre, les estimations varient. Seul constat qui fait l’unanimité : il faut de la pluie, et vite.

Éprouvés par des récoltes décevantes, les cultivateurs voient avec impuissance le sol s’assécher, des sources fiables se tarir. Et ils se demandent où ils devront bientôt aller pour faire boire leurs bêtes.
L’industrie n’est pas en reste. Dominion Cotton Mills, qui emploie 1 000 des 4 000 Magogois, a un besoin vital du courant de la rivière Magog pour alimenter ses usines. À cause de cette pénurie, qui se prolonge en octobre et novembre, les interruptions se multiplient et on envisage même d’arrêter les activités de la filature. Un coup que l’économie locale aurait du mal à encaisser.

Début octobre, on profite du bas niveau de la rivière pour déblayer la voie au barrage des bûches et des pierres qui en obstruent l’accès. Les dynamiteurs ne lésinent pas sur la poudre : certains débris atterrissent même sur la rue Principale. Ce qui fait bien du bruit, mais n’arrange pas tout. Pour éviter l’exil de sa main-d’œuvre, D.C. Mills adopte en novembre une formule de temps partagé.

Octobre 1903: de l'eau jusqu'aux mollets, des Magogois s'apprêtent à dynamiter les débris qui obstruent la voie au barrage de la Dominion - Fonds Bibliothèque Memphrémagog. La Société d'histoire de Magog
Octobre 1903: de l’eau jusqu’aux mollets, des Magogois s’apprêtent à dynamiter les débris qui obstruent la voie au barrage de la Dominion – Fonds Bibliothèque Memphrémagog. La Société d’histoire de Magog

Sherbrooke n’a pas ce luxe. Paralysées par l’inertie de la rivière Magog, des usines comme la Paton et la Lomas doivent fermer leurs portes. L’éclairage de leurs rues réduit au maximum, les Sherbrookois broient du noir.

De ce sentiment d’urgence naît un projet. Mandaté par les élus, un ingénieur étudie la possibilité de réaménager la décharge du lac, à Magog, de façon à ce qu’en baissant le niveau du Memphrémagog d’un pied, on redonne à la rivière sa vivacité. L’idée est prise au sérieux. Mais à 3 500 $, on juge l’affaire trop risquée.

Mère nature restant hésitante, c’est finalement l’acquisition d’équipement plus performant –dynamos, machines à vapeur- qui permet de dénouer l’impasse à court terme. Ce n’est toutefois que partie remise. Cinq ans plus tard, à l’automne 1908, Magog vivra une autre sécheresse. Cette fois, la crise amènera les élus à se pencher sur des solutions plus durables.

Serge Gaudreau